Extrait des "Belles Lettres du Professeur Rollin".

Ce n'est pas exactement pour demain, mais reconnaissez que nous n'avons jamais Ă©tĂ© aussi près de l'Ă©tĂ© prochain que maintenant. Et en cette pĂ©riode estivale, beaucoup d'entre vous seront amenĂ©s Ă  cĂ´toyer la mer, et surtout les bateaux, et particulièrement les bateaux Ă  voiles. Or il y a, sur les voiliers, tant de termes techniques spĂ©cialisĂ©s que le risque est grand pour le visiteur non averti de passer pour un bĂ©otien, si ce n'est pour un plouc. Mon intervention d'aujourd'hui a pour objectif d'obvier Ă  ce risque douloureux, en rappelant quelques uns des mots savants qui peuplent les glossaires de marins. A commencer par l'accastillage, qui est l'ensemble des Ă©quipements placĂ©s sur le pont d'un navire. Approchez vous du bateau, et exclamez vous : quel bel accastillage ! Ce premier compliment vous servira de passeport pour monter Ă  bord. ArrivĂ© lĂ , rendez-vous du cĂ´tĂ© des cordages, oĂą vous pourrez, un peu au hasard, vous Ă©crier : « oh la belle Ă©coute », « oh la belle cargue Â» (qui est le cordage servant Ă  retrousser une voile contre sa vergue), « oh la belle aussière Â» (ça c'est le gros cordage qui sert Ă  remorquer ou Ă  amarrer un navire), ou encore « oh la belle drisse Â» (ce cordage-lĂ  sert Ă  hisser les voiles). Dans le mĂŞme secteur, vous direz tout le bien que vous pensez du cabestan, ce treuil vertical qui sert Ă  remonter l’ancre (naturellement, si le cabestan est horizontal, il s'agit d'un guindeau, ne faites pas l’erreur !), et vous encenserez le chaumard, cette ferrure fixĂ©e sur le pont servant de guidage et de renvoi aux amarres. Attention : la chaĂ®ne du mouillage ne passe gĂ©nĂ©ralement pas dans un chaumard, mais dans un davier ou dans des Ă©cubiers. Oh le beau davier, oh les beaux Ă©cubiers ! Avisant ensuite n'importe quelle longue pièce de bois effilĂ©e utilisĂ©e comme mât, comme vergue, ou comme bĂ´me, vous vous exclamerez : quel bel espar ! Et si cet espar tend diagonalement une voile aurique, vous aurez le choix de hurler indiffĂ©remment : « oh la belle livarde », ou « oh le beau balestron ». Puisqu'on parle tension, vous complimenterez le propriĂ©taire sur ses bastaques, qui sont des haubans de tension rĂ©glable, et sur l'ensemble de ses manilles, ces petites pièces mĂ©talliques, gĂ©nĂ©ralement en forme de U, fermĂ©es par un manillon et servant Ă  rĂ©unir de façon souple les cordages, chaĂ®nes, poulies, et autres galoches, ces poulies dont on a coupĂ© une joue pour des raisons techniques très ennuyeuses. Faites alors une pause musicale pour donner Ă  votre mĂ©moire le temps de se rassembler…Santiano.... Merci Hugues, mais la visite se poursuit.



Admirez maintenant les garcettes, ces petits bouts de cordage souples utilisĂ©s notamment pour les bandes de ris, puis les cadènes et les ridoirs : ce sont des pièces liĂ©es aux haubans, ne cherchez pas Ă  en savoir davantage. DĂ©placez vous Ă  prĂ©sent jusqu'au gouvernail, oĂą vous adorerez le safran, qui est la partie immergĂ©e du gouvernail, et surtout l'aiguillot et le fĂ©melot, parties respectivement mâle et femelle de la ferrure du gouvernail, formant Ă  elles deux une sorte de gond permettant la rotation du safran par rapport Ă  l'Ă©tambot. Qu'il est beau, votre Ă©tambot !

Votre visite est presque terminĂ©e, et vous suscitez l'admiration de tout l'Ă©quipage ahuri. Mentionnez encore la belle jaumière, conduit vertical traversant l'arrière de la coque pour le passage de la mèche du gouvernail, et les beaux dalots, orifices mĂ©nagĂ©s dans le pavois permettant l'Ă©vacuation de l'eau. Demandez enfin Ă  votre compagne de cĂ©lĂ©brer les enflĂ©chures, … oui, ce sont les Ă©chelons de cordage tendus entre le pont et la mâture permettant de monter dans le grĂ©ement… Quelles charmantes enflĂ©chures !!- … l'admirable organeau- … c'est l'anneau qui relie l'ancre Ă  la chaĂ®ne de mouillage… oh le bel organeau !- .. et terminez, vers l'avant du navire, par le splendide bossoir de capon…- … c’est la pièce de bois en saillie servant Ă  la manoeuvre de l'ancre. Quel magnifique bossoir de capon !

Mes amis, nous n’avons pas parlé des bollards. C’est que les bollards sont sur le quai, ce sont les bittes d'amarrage, généralement en métal, munies à leur sommet d'un renflement tourné vers la terre pour empêcher les amarres de décapeler. Ce sera donc pour la prochaine fois. François ROLLIN